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BILLET D'HUMEUR...

Il est désolant que l'anathème, l'imprécation et l'insulte remplacent l'esprit critique, l'analyse et le dialogue. Le buzz occupe l'espace médiatique à une vitesse telle qu'il est impossible à l'esprit patient de se poser sans apparaître rétrograde et dépassé. Le tweet détrône le livre, mais il existe cependant des livres qui procèdent de l'esprit du tweet, je veux parler ici de l'ouvrage des professeurs Philippe Even et Bernard Debré, personnages hauts en couleur et forts en gueule, qui viennent de cosigner "le guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux".

Si les questions de fond sont utilement posées (y a-t-il des médicaments inutiles et/ou dangereux ? Les Français consomment-ils trop de médicaments ? Y-a-t-il conflits d'intérêts entre les médecins et les firmes pharmaceutiques ? Le prix des génériques pose-il problème ?...), elles méritaient des réponses documentées, appuyées sur des preuves, sans parti pris diffamatoire, des réponses circonstanciées et nuancées sans attaque ad hominem.

Le livre révèle autant l'homme qui l'écrit que le propos qu'il veut illustrer. Celui-ci est aussi révélateur d'un certain esprit de notre temps : provoquer plutôt que proposer, dénoncer plutôt que construire. C'est l'esprit partisan mettant à mal l'esprit éclairé. Si les professeurs Even et Debré ont des "têtes bien pleines", ont-ils des têtes bien faites au sens où l'entend Montaigne ? Les auteurs ne font pas œuvre constructive de pédagogie. Pour certaines personnes qui prendront à la lettre ce qui est écrit par nos confrères, elles suspendront des traitements utiles et bénéfiques. Le véritable enseignement suppose la présence en soi de la conscience dans la connaissance, et non la compilation malhonnête ou partiale de sommes de données hétéroclites et mal comprises ou de jugements superficiels sans étayage sérieux.

La critique de la politique du médicament est féconde si elle s'assortit d'une proposition constructive et éclairée, si elle accompagne l'élaboration d'un système de santé plus conforme à l'humanisme, pierre angulaire sur laquelle doit s'appuyer le médecin, tout en restant de haut niveau scientifique pour le plus grand bénéfice des patients.

Si quelques pavés dans la mare peuvent être salutaires, ils ne font que des rides dans l'eau sans effet pérenne ; or c'est la durée qu'il faut viser.

Réfléchissons à ce que certains appellent déjà un livre blanc du médicament. Ne rompons pas par des propos polémiques l'équilibre fragile, mais si enrichissant, de la relation entre les médecins et les patients. Cette relation se tisse pas à pas dans le respect l'un de l'autre. Evitons les avis péremptoires, à l'emporte-pièce, les commentaires vexatoires qui touchent au corps physique, car ils blessent l'intime.

Qui tire bénéfice de ce livre déjà vendu à plus de 200000 exemplaires ? Certainement pas les patients blessés par des phrases telles que "l'obésité huileuse qui coule et ruisselle dans les rues où les quintaux de tous âges déambulent en se dandinant". Certainement pas les médecins, tous mis dans le même panier de la turpitude. Certainement pas l'esprit critique mis à mal dans un livre truffé d'erreurs et d'approximations. Les auteurs de l'ouvrage à coup sûr qui engrangeront les royalties.

Mais que l'occasion profite à nous tous, patients et médecins que cette attaque somme de changer pour une attitude responsable dans la consommation et la prescription du médicament, mais aussi aux pouvoirs publics pour une réforme de la politique du médicament et de la pharmacovigilance.

Nous bousculer pour nous faire progresser, voilà probablement le seul bénéfice réel de ce livre.

Docteur Marie-Paule NOUSSE-HOUPPE

Références :

  • Le guide des médicaments utiles, inutiles et dangereux. Philippe Even, Bernard Debré. Le cherche Midi.
  • Les Essais. Livre I ; Chapitre XXVI . Garnier/Flammarion


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